Ethnologie
Les collections d’ethnographie extra-européenne du muséum comptent actuellement six mille objets provenant de quatre zones géographiques principales : Océanie, Afrique, Amérique et Asie. Leur constitution et leur intégration en musée est, dans un premier temps, fortement liée à l’histoire de l’empire colonial et aux politiques d’expansion, mais également aux activités des réseaux scientifiques locaux. Outre les missions scientifiques officielles organisées par le musée du Trocadéro qui ont donné lieu à des dépôts ou transferts au muséum de Toulouse à différentes époques (missions Henri Labouret, Léon de Cessac, Georges de Créqui-Monfort), les objets proviennent le plus souvent de notables, scientifiques ou amateurs éclairés membres de sociétés savantes locales. On compte également beaucoup d’administrateurs coloniaux ou de militaires en poste parmi ces donateurs.
Le fonds africain
Poupée Iny Karajà, photo. : Roger Culos - coll. muséum
L’Afrique représente la seconde entité du fonds en nombre de pièces avec des objets provenant principalement d’Afrique de l’Ouest (Mali, Guinée, Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin, etc.), du Cameroun, d’Afrique Centrale, de Madagascar et d’Afrique du Nord. Ces objets proviennent de missions ethnographiques, de collections personnelles d’administrateurs coloniaux ou de militaires, tel le Général Joseph Galliéni qui fit don de sa collection au muséum en 1891. De nombreuses acquisitions furent également réalisées dans les années 1960-1980.
Parmi les ensembles remarquables, notons les collectes réalisées par Henri Labouret (Guinée et Cameroun de 1931 à 1938) qui étudia les civilisations africaines à travers une carrière d’administrateur colonial.
Il inaugura avec Maurice Delafosse une tradition de recherche sur le terrain entreprise par des coloniaux comme lui. Il étudia notamment les Lobi (Burkina Faso), les Baga (Guinée) et les Bamoum et Bamiléké (Cameroun) et ramena de nombreux témoignages matériels de ses expéditions. Un certain nombre de ces objets fut envoyé au muséum de Toulouse, soit directement, soit par la voie du musée du Trocadéro.
Carte des itinéraires de la mission Gallieni au Sénégal et Niger – Bull. de la société d'histoire naturelle de Toulouse, 1882, Biodiversity Heritage Library
Joseph Gallieni
(1849 - 1916)
"Pagne" Fon (Bénin), le cartel ancien indique « Tablier d’Amazone du Roi » collecté à l’issue de la bataille d’Atchoupa le 8 mars 1890, don du lieutenant Jean Grand – coll. muséum, MHNT.ATH.AC.559
Poids-monnaie Akan, Côte d'Ivoire, don 2010, photo. : Roger Culos - coll. muséum, MHNT.ETH.2010.25.34
LE fonds Américain
L’Amérique compte 1530 numéros et est une entité géographique en expansion dans les collections depuis l’acquisition en 2005 d’un important ensemble de pièces d’Amazonie vénézuélienne et la constitution d’un fonds de pièces brésiliennes et régions frontalières issu de collectes de terrain. Un ensemble important et représentatif de céramiques précolombiennes (Pérou ancien, Mexique) ainsi qu’une collection arctique ancienne constituent l’un des points forts de ce fonds. Ces objets proviennent de missions ethnographiques importantes et de dons de scientifiques ou d’amateurs éclairés : la mission Léon de Cessac (Californie 1877-1878) portant sur la protohistoire et l’ethnographie (outils en pierre, os ,vaisselle, hameçons, flèches,etc.). Une partie des doublons de collectes effectuées pendant cette mission a été répartie entre différents musées. Toulouse hérita de 48 pièces en 1881. La Mission Créqui-Montfort de 1903 en Bolivie, au Chili et en Argentine dont Toulouse recevra 268 pièces en 1908.
En 1993, les descendants de Monseigneur Carrerot donnent au muséum un ensemble d’armes Mebêngôkre (Kayapó) et Apyãwa (Tapirape) du Brésil central.
Raymond Carrerot était un religieux d’origine ariégeoise parti au Brésil à la fin du XIXe siècle et devenu évêque de la région de l’Araguaia au début du XXe siècle. Il y passera sa vie et ne rentrera en France qu’à l’occasion d’un séjour dans les années 1920. C’est à cette occasion qu’il laissera à sa famille un important ensemble d’armes collectées à la fin du XIXe siècle lors de premiers contacts avec les Mebêngôkre et Apyãwa de cette région du Brésil.
Tunique, Pérou – coll. muséum ETH.AC.1708
LE fonds Asiatique
Jean-Baptiste Noulet
(1802-1890)
L’Asie représente la plus petite entité du fonds du muséum avec une centaine d’objets provenant principalement du Cambodge, du Laos, du Viêt Nam et du Tibet.
Parmi les donateurs on trouve un certain Monsieur Raymond, chef de poste à Tramy, au Viêt Nam dans les années 1930. Il donne au muséum une collection intéressante d’instruments de musique et d’armes.
Le fonds compte également des maquettes de canons provenant de la collection de Monsieur Marcailhou d’Aymeric et René Léon Bourret enrichira également le fonds asiatique par le don de livres de prières collectés au Cambodge.
LE fonds océanien
L’Océanie représente la part la plus importante du fonds avec une majorité d’objets provenant de l’aire mélanésienne (Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Guinée, Vanuatu, Îles Salomon, Nouvelle-Irlande, Nouvelle-Bretagne, etc.). Les collections polynésiennes sont également de première importance (Îles Fidji, Îles Samoa, Îles Tonga, Îles de la Société, Îles Marquises et Île de Pâques). Le muséum conserve aussi quelques pièces micronésiennes, provenant essentiellement de Kiribati (anciennement Îles Gilbert) et des Îles Carolines. La Nouvelle-Zélande et l’Australie sont également représentées par des artefacts d’un grand intérêt. Enfin, l’Île de Pâques avec la collection Pierre Loti (objets, manuscrit et dessins) est l’un des points forts du fonds océanien.
La collection océanienne du muséum est le fruit de nombreux dons de missions d’explorations naturalistes qui se sont multipliées au cours du XIXe siècle. Gaston de Roquemaurel, Second de Jules Dumont d’Urville lors des célèbres missions d’exploration dans le Pacifique, ramène de ses voyages de fabuleuses collections ethnographiques et naturalistes.
Boîte à thé, Viêt Nam - coll. muséum, ETH.AC.812
Charles-François Raymond
(1893 - 1963)
Gaston de Rocquemaurel
(1804 - 1878)
Bambou gravé (détail), Kanak, Nouvelle-Calédonie, XIXe siècle, photo. : Daniel Martin – coll. muséum, MHNT.ETH.AC.NC.72
Dès 1841, il offre ses précieuses collections à la ville de Toulouse qu’il complétera régulièrement par des dons d’objets collectés lors de nouvelles expéditions en Asie et en Océanie. Dès 1850, le public toulousain y a accès dans la galerie d’ethnographie du musée des Beaux-arts et des Antiques. En 1924, Sir Basil Thomson qualifiait cette collection d’objets de grande valeur estimant que certains étaient désormais introuvables. Elle devient d’autant plus précieuse après la destruction pendant les bombardements de la seconde Guerre Mondiale du musée de Caen qui conservait la collection Dumont d’Urville1.
Le fonds s’accroît considérablement sous les directions de Jean-Baptiste Noulet et Eugène Trutat qui mènent une politique d’achat très soutenue de 1872 à 1900, notamment par l’intermédiaire des frères Alexis Savès et Théophile Savès, marchands toulousains.
L'ethnographie dans les musées d'histoire naturelle
Beaucoup de ces objets ont été collectés par des naturalistes et des amateurs éclairés, héritiers des cabinets de curiosités du XVIIIe siècle qui mélangeaient ethnographie, « antiquités », curiosités et Histoire naturelle. Ce sont donc les muséums qui les ont intégrés dans leurs collections parce-que leur aspect inhabituel, leur origine exotique et « sauvage » les classaient dans les objets de la Nature. Par ailleurs, les expositions coloniales, ainsi que celles organisées par les sociétés savantes, telle la Société de Géographie de Toulouse en 1884, mettent en scène « les peuplades sauvages » souvent accompagnées d’étalages d’objets exotiques qui suscitent toujours un certain engouement de la part du public. La plupart de ces objets trouveront place dans les muséums d’Histoire naturelle à la fin de ces événements. Par exemple, à Toulouse, les objets malgaches arrivent après l’Exposition universelle de 1900 à Paris.
collections d’ethnographie et naturalia
Exposition de la Société de Géographie de Toulouse, 16 juin au 10 août 1884, Toulouse, photo. E. Trutat – coll. muséum MHNT.PHa.1824.A.006
L’exemple de Gaston de Roquemaurel illustre bien l’époque des explorations et des circumnavigations de la première moitié du XIXe siècle. Il participe au second voyage autour du monde de Jules Dumont d’Urville, en tant que son second sur L’Astrolabe, entre 1837 et 1840 qui s’attarde principalement dans le Pacifique.
De Roquemaurel, comme de nombreux officiers, aura durant ce voyage collecté, ou plutôt échangé, une kyrielle de spécimens naturalistes mais surtout des objets des populations rencontrées. Dans son abondante correspondance privée avec un cousin2 nous avons retrouvé beaucoup de commentaires et récits sur ces échanges ou achats. Il y fait mention de tissus, verroteries et autres « quincailleries » qui lui servent de monnaie d’échange pour obtenir les objets qu’il juge dignes d’intérêt.
Salle d'ethnographie Gallieni, photo. : attribuée à Augustin Pujol - coll. muséum, MHNT.PHa.138.B05.02
Il en fait don à la Ville de Toulouse en 1841 puis en 1854. Ces objets déposés au musée des Beaux-arts et des Antiques y resteront plusieurs décennies, une galerie est inaugurée en 18503.
En 1858, on note la publication par Ernest Roschach, conservateur du musée, d’un petit catalogue des objets de la galerie d’ethnographie4 et des spécimens naturalistes. Les collections d’ethnographie données à la ville feront de nombreux allers-retours entre les différents musées de la ville entre les XIXe et XXe siècles avant de trouver leur répartition actuelle.
Au XIXe siècle, pratiquement personne ne s’intéresse aux collections ethnographiques extra-européennes. La discipline scientifique n’existe pas encore vraiment et le regard porté sur ces productions est largement péjoratif. Ces collections ne sont pas considérées comme de l’Art, les musées de Beaux-Arts de l’époque n’en veulent pas.
Plus tard dans le XIXe siècle, la colonisation bat son plein sur tous les continents et s’accompagne de très nombreuses collectes. Les musées métropolitains sont submergés d’objets que leur envoient les naturalistes, militaires, administrateurs coloniaux en poste, missionnaires et commerçants.
Un autre exemple toulousain célèbre est celui du Général Joseph Galliéni, originaire de Saint-Béat, qui fera don en 1891 et en 1901 de ses collections provenant d’Afrique de l’Ouest et de Madagascar au muséum. Rappelons aussi que bon nombre de ces collections furent rassemblées par des préhistoriens et autres archéologues dans le contexte intellectuel de la naissance de l’archéologie comparée.
Collier, Îles Santa Cruz, don de Roquemaurel – coll. muséum, MHNT.ETH.AC.GI.9
C’est le cas à Toulouse avec Pierre Joulin, Félix Régnault, Émile Cartailhac et Louis Lartet et Édouard Lartet. Les armes et outils des populations lointaines pensées comme primitives sont présentés comme étant des vestiges contemporains des cultures préhistoriques européennes. Ce type de présentation sera aussi adopté à Toulouse et illustre la pensée et l’idéologie évolutionniste d’alors.
Le désir de classification de l’espèce humaine et de hiérarchie entre des supposées races5 qui domine tout le XIXe siècle et une partie du XXe siècle voit la démarche classificatoire des sciences naturelles appliquée à l’analyse des artefacts et rejaillit sur les muséographies. On le rappelle, la plupart des collectionneurs sont des naturalistes ou des archéologues et les musées qui héritent de ces collections des muséums d’Histoire naturelle.
A.O.F. Femme Foulah. Photo. stéréoscopique de l’Exposition universelle de 1900 – coll. muséum, MHNT.PH.2014.1.1.51.1
Exposition universelle de 1900, animation – coll. muséum, MHNT.PH.2014.1.1.52.1
À la fin du XIXe siècle on voit les balbutiements des missions collectives d’ethnographie qu’organise le musée du Trocadéro qui devient Musée de l’Homme en 1938. Ces missions, et particulièrement dans les années 1930, vont mettre en place une méthodologie et recueillir des informations sur les usages précis des objets dans leur culture d’origine. C’est la période de la professionnalisation de l’ethnologie qui devient une discipline à part entière avec la création d’un institut d’ethnologie et une chaire d’enseignement.
Après l’exposition coloniale de 1931 qui suscite pas mal de polémiques et annonce le déclin de ce type d’exposition6 et des exhibitions humaines, on assiste clairement à un changement de discours. Le but est de faire découvrir à la métropole toute la diversité des peuples et cultures composant les empires coloniaux. Deux personnalités jouent un rôle essentiel dans ce changement : Paul Rivet et Georges Henri Rivière. C’est à eux que l’on doit la restructuration du musée du Trocadéro en Musée de l’Homme. Le musée est avant tout une institution scientifique et un lieu d’éducation populaire qui vise à enseigner les aspects les plus représentatifs des cultures des peuples étrangers. C’est la fin des panoplies. Selon leurs termes, les vitrines doivent être « décantées » et seuls les objets les plus représentatifs doivent être montrés. Rivet et Rivière parlent « d’objet témoin », c’est à dire que pour eux, tous les objets ont une même valeur de témoignage. Exit la notion de hiérarchie de valeur artistique entre les objets.
Les archives attestent de liens réguliers entre le muséum de Toulouse et le Trocadéro puis le musée de l’Homme. De nombreux doublons de collecte des grandes expéditions sont répartis entre les différents musées de Province, ainsi les missions Georges Révoil (Éthiopie, Somalie des années 1890), Georges de Créqui-Monfort (Amérique du Sud et Andes, 1903) ou Henri Labouret (Afrique de l’Ouest, 1930-40) vont enrichir les collections d’ethnographie toulousaines.
Exposition industrielle internationale de Toulouse, 1908, Jardin des Plantes, photo. Paul Bacard – Ville de Toulouse, Archives municipales, 9FI5150
NOTes
- Le Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse : ses galeries, Gaston Astre, 1949 — coll. muséum, cote D575
- Archives familiales
- Journal de Toulouse, 14 août 1849 – Rosalis
- Galerie d’ethnographie, 1858 – coll. muséum, cote A.06.09.04
- Quand la biologie parlait de races humaines, Charline Zeitoun, 2011 – lejournal.cnrs.fr, consulté le 16 avril 2019
- La fin des “zoos humains” / À partir de 1930, Groupe de recherche ACHAC – achac.com, consulté le 16 avril 2019
À retrouver dans ces thématiques
Photo. d'en-tête : Sac de selle (tehaihait) Touareg - coll. muséum, MHNT.ETH.AC.388
Sylviane Bonvin-Pochstein, chargée des collections d'ethnographie, 2019























